Italia normanna
Les Normands d'Italie
les débuts de l'autre conquête... (1000 - 1043)
EVOLUTION DE LA SITUATION POLITIQUE POUR BIEN COMPRENDRE…
L’Empire Romain se divise en 395 entre Empire Romain d’Occident (capitale Ravenne) et Empire Romain d’Orient, également appelé Empire Byzantin (capitale Constantinople, future Istanbul). Par suite des invasions dites « Barbares », l’Empire Romain d’Occident disparaît en 476 au profit de nombreux royaumes germaniques au nord et au sud de la Méditerranée. L’Empire d’Orient, puissant à l’époque, résiste à ces invasions.
Les Ostrogoths occupent la péninsule italique. Lorsque l’empereur Justinien arrive au pouvoir en Orient (527), il entreprend de reconquérir la fraction occidentale de l’ex-Empire Romain. C’est ainsi que l’actuelle Tunisie en 535, l’Italie en 553, mais aussi le sud-est de l’Espagne deviennent byzantins. Mais, dès la mort de Justinien (565), l’Empire dans son ensemble est de nouveau convoité par différents prédateurs. Les Lombards s’installent en Italie du Nord et Centrale jusqu’à la Basilicate ; les Slaves s’implantent dans les Balkans et fondent notamment l’Empire Bulgare. Fraîchement convertis à l’Islam, les Arabes menacent l’Anatolie dès le milieu du VIIe siècle.
En 774, Charlemagne conquiert la partie nord du royaume des Lombards, excepté le duché de Bénévent alors à son apogée. Son maître Arichis II refuse de se soumettre aux Francs, prenant le titre de prince. Cette entité territoriale se fractionne ensuite en deux (Bénévent et Salerne peu avant 850) puis en trois (avec la séparation de Capoue et de Bénévent). Au Xe siècle, les Byzantins perdent la Sicile au profit des Sarrasins. Ils se concentrent alors sur le sud de l’Italie, reprenant une partie de la Basilicate. La situation vers l’an 1000 est donc approximativement la suivante : au nord, le royaume d’Italie qui fait partie de l’Empire Germanique et englobant le duché de Spolète ; au centre, les états pontificaux mêlés aux principautés lombardes de Capoue et Salerne, mais aussi aux comtés de Gaète et de Naples repris aux Byzantins ; au sud l’Empire Byzantin ; enfin la Sicile qui reste sous domination arabe. C’est dans ce contexte qu’arrivent les premiers mercenaires normands.
Le sud de l’Italie occupé par les Byzantins est donc convoité par les Lombards et les Arabes, que l’on appelle aussi communément Maures ou Sarrasins.
Jusqu'au milieu du IXème siècle la situation est simple, le nord de l'italie fait partie du Saint empire germanique, les états pontificaux sont plus ou moins sous son contrôle, au centre un grosse principauté lombarde, au sud les Bysantins qui profitent du fractionnement du Bénévent pour en commencer la conquête sur la côte ouest.
LE PRECURSEUR : RAINOLF DRENGOT
LA MORT DU DUC DE NORMANDIE.
Robert le Libéral, (appelé aussi le Magnifique et beaucoup plus tard le diable) meurt en revenant d’un pèlerinage en Terre Sainte. Orderic Vital écrit au début du XIIe siècle dans son « Histoire ecclésiastique » : « Robert, duc de Normandie, mourut le jour des calendes de juillet (1er Juillet 1035), auprès de Nicée (ndlr : aujourd’hui Iznik, Turquie), ville de Bithynie, à son retour d’un pèlerinage qu’il avait entrepris à Jérusalem ».
Les circonstances de la mort du duc de Normandie nous sont relatées avec verve dans le Roman de Rou, rédigé par le poète jersiais Robert Wace vers 1150 :
« Le duc Robert allait et menait ses gens en joie, quand lui vint une maladie qui le tint quinze jours et plus. Il ne pouvait plus aller à cheval ni à pied. Il ne voulait rester ici ni affliger ses hommes. Il loua de pauvres Sarrasins et se fit porter à leur cou. Il se faisait transporter sur une litière, comme un corps en bière. Et il vit un pèlerin né à Pirou dans le Cotentin, qui venait de Jérusalem et qui avait été au sépulcre. Celui-ci rencontra son seigneur et cela lui causa grande douleur et il se mit à pleurer devant lui. Et en partant lui demanda quelles nouvelles il dirait de lui, quand en Normandie il serait rentré. Racontez, dit-il, à mes amis et aux gens de mon pays, que par des diables tous vifs je me fais porter au paradis. Les païens m’ont porté sur leurs épaules qui m’emportent vers le jugement. »
Robert Wace, Roman de Rou, III, vers 3121-3148
Que des proches de l’entourage du duc décident, suite à sa mort, de rejoindre l’Italie du Sud, est parfaitement plausible. C'est sans doute peu après la mort de Robert le Magnifique, vers 1035 que de nombreux chevaliers normands ont entendu, peu avant l’arrivée des premiers Hauteville, l'histoire de leurs aînés qui ont naturellement été pris en charge par leur compatriotes normands déjà sur place, dont un certain Rainolf Drengot qui s'était fait céder, par le duc de Naples, la ville d’Aversa et son territoire (entre 1029 et 1030).
Les Normands décident donc de rallier Aversa, dont Rainolf Drengot est le maître depuis quelques années. Dès leur arrivée, Rainolf leur relate les événements qui ont obligé la famille Drengot à quitter la Normandie. Tous ces faits sont confirmés par Orderic Vital dans son livre III :
« Le pape Benoît était assis sur le siège apostolique ; les Sarrasins passaient tous les ans sur leur flotte d’Afrique dans la Pouille et levaient impunément, dans toutes les villes du pays, toutes les contributions qu’ils voulaient, sur les lâches Lombards et les Grecs qui habitaient la Calabre. A cette époque, Osmond surnommé Drengot, entendant Guillaume Repostel se vanter insolemment à la cour de Normandie d’avoir déshonoré sa fille, le tua sous les yeux du duc Robert, dans une forêt où l’on chassait. Ce crime le força de fuir la présence du prince. Il se retira d’abord en Bretagne, puis en Angleterre, et enfin à Bénévent avec ses fils et ses neveux. Il fut le premier Normand qui s’établit en Pouilles. Il reçut une ville du prince de Bénévent, pour s’y fixer, lui et ses héritiers. Ensuite, un certain Drogon, chevalier normand, se rendit en pèlerinage à Jérusalem avec cent autres chevaliers. A son retour, le duc Guaimar le retint quelques jours à Salerne avec ses compagnons, par pure humanité et pour les rétablir de leurs fatigues. Alors vingt mille Sarrasins descendirent sur les côtes d’Italie, et vinrent, avec de grandes menaces, demander le tribut aux citoyens de Salerne. Pendant que le duc et ses gens faisaient la collecte du tribut dans la ville, les Sarrasins descendirent de leur flotte et s’établirent dans une plaine couverte d’herbe, qui est située entre Salerne et la mer, pour faire leur repas avec joie et sécurité. Les Normands ayant su cet événement et voyant le duc occupé à recevoir l’argent propre à se concilier la bienveillance des barbares, firent amicalement des reproches aux habitants de ce qu’ils se rachetaient avec de l’argent, comme des veuves sans protection, au lieu de se défendre en hommes courageux, par la force du fer. Aussitôt ils coururent aux armes, tombèrent à l’improviste sur les Africains, qui attendaient avec sécurité le tribut, et, après en avoir tué plusieurs mille, forcèrent le reste à fuir honteusement vers les vaisseaux. Les Normands revinrent chargés de vases d’or et d’argent, ainsi que de beaucoup d’autres dépouilles précieuses ; ils furent vivement sollicités par le duc de résider avec honneur à Salerne ; mais comme ils avaient un vif désir de revoir leur patrie, ils n’obtempérèrent pas à cette demande. Cependant ils promirent ou de revenir eux-mêmes ou d’envoyer promptement une élite de jeunes Normands. Après qu’ils eurent touché le sol natal, ils racontèrent à leurs compatriotes tout ce qu’ils avaient vu ou entendu, fait ou souffert. Ensuite quelques-uns d’eux, voulant s’acquitter de leurs promesses, retournèrent en Italie par le même chemin, et, par leur exemple, déterminèrent à les suivre un grand nombre de jeunes gens dont le cœur était léger. En effet, Turstin surnommé Citel, Ranulphe, Richard, fils d’Ansquetil de Quarel, les fils de Tancrède de Hauteville, Drogon et Onfroi, Guillaume et Herman, Robert surnommé Wiscard, Roger et ses six frères, Guillaume de Montreuil, Ernauld de Grandmesnil et beaucoup d’autres quittèrent la Normandie et se rendirent en Pouilles non pas ensemble, mais à différentes époques. Parvenus dans ce pays, ils se mirent d’abord à la solde du duc Guaimar et des autres princes voisins, pour les servir contre les païens… »
Certes la datation dans l'oeuvre d'Orderic Vital quii écrit un siècle plus tard,comporte quelques lacunes, Le pape Benoit n'est autre que Benoit VIII (pontificat 1012-1024) , alors que Robert le Magnifique ne sera duc qu'en 1027, il s'agit plus vraisemblablement de Richard II (duc 996 à 1026).
D’autres chroniqueurs, plus proches des événements, nous ont relaté les mêmes faits :
Aimé du Mont Cassin est l’historien qui nous fournit les informations les plus précises sur les débuts de la conquête. Moine lombard du Mont Cassin, Aimé écrivit son Historia Normannorum vers 1075-1080, pour raconter comment les Normands étaient arrivés en Italie, conformément à la volonté divine, pour rétablir l’ordre et protéger l’Eglise. De son ouvrage rédigé en latin, nous n’avons conservé qu’une traduction en ancien français du XIVe siècle. Voici comment il raconte le premier exploit des Normands à Salerne en l’an mil.
« En l’an mil, après que le Christ, notre Seigneur, eut pris chair en la Vierge Marie, arrivèrent quarante vaillants pèlerins en notre pays. Ils revenaient du Saint-Sépulcre de Jérusalem où ils étaient allés prier Jésus Christ. Ils parvinrent à Salerne, qui était alors assiégée par des Sarrasins. Les habitants de la ville étaient si maltraités qu’ils avaient accepté de se soumettre. Auparavant la ville de Salerne était devenue tributaire des Sarrasins. Mais comme ils tardaient à payer le tribut annuel à son terme, aussitôt arrivèrent les Sarrasins sur de nombreux navires : ils frappaient, tuaient, dévastaient le pays. C’est en cette région que vinrent les pèlerins normands. »
« Ceux-ci ne purent admettre que les chefs des Sarrasins commettent une si grande injustice, ni que des chrétiens deviennent leurs sujets. Ces pèlerins allèrent trouver Guaimar, le vénérable prince qui gouvernait Salerne selon la justice et le supplièrent de leur donner armes et chevaux : ils voulaient, en effet, combattre les Sarrasins non pour de l’argent, mais parce qu’ils ne pouvaient supporter un tel orgueil de leur part. Ils réclamèrent des chevaux. Quand ils eurent obtenu des armes et des chevaux, ils attaquèrent les Sarrasins et en tuèrent un grand nombre : beaucoup gagnèrent la mer et le reste s’enfuit à travers la campagne. C’est ainsi que les vaillants Normands furent vainqueurs et les Salernitains délivrés de leur soumission aux Païens. »
« Quand cette grand victoire eut été remportée grâce au courage de ces quarante pèlerins normands, le prince de Salerne et tout le peuple leur adressèrent de grands remerciements et leur offrirent des présents. Ils leur promettaient également de grandes récompenses s’ils demeuraient pour assurer la défense des chrétiens. Mais les Normands ne voulurent pas accepter d’argent pour ce qu’ils avaient accompli par amour de Dieu. Ils s’excusèrent de ne pouvoir rester. »
Aimé du Mont Cassin, Ystoire de li Normant, I, 17-18
Rainolf Drengot, premier comte normand en Italie. Il doit son comté d'Aversa à Serge de Naples, vers 1026. Rainolf épouse la soeur de Serge qu'il trahira à la mort de son épouse pour se rallier à Pandolf, le loup des Abruzzes.
LOCALISATION DE L'ORIGINE DES DRENGOT
Pour Orderic Vital, vivant à compter de 1085 à l’abbaye de Saint-Evroult-en-Ouche, l’Italie du Sud est un pays lointain et les informations lui arrivent pêle-mêle. Il nous permet néanmoins de localiser l’origine présumée de l’autre famille, qui joue un rôle essentiel dans ce tome consacré aux précurseurs et sans laquelle les Hauteville et les autres Normands ne seraient sans doute pas arrivés dans les mêmes conditions en Italie du Sud : Les Drengot. Certains chercheurs les ont appelés « Quadrellis », famille de second ou de troisième ordre dans l’entourage du Duc de Normandie, tout comme les Hauteville d’ailleurs. Quelques historiens, tels René Louis Ménager et Lucien Musset, ont plausiblement localisé les « Quadrellis » comme le hameau des Carreaux à Avesnes-en-Bray (Seine-Maritime), même si, pour la forme, ils citent également une localité mancelle homonyme. Cette famille de vavasseurs locaux participe à une chasse ducale en forêt de Lyons. Or Avesnes-en-Bray, située au sud-ouest de Gournay-en- Bray, n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Lyons-la-forêt.
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"Italia Normannorum"
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L
Double planche de l'album " Italia Normannorum " relatant le premier exploit des Normands à Salerne ...
(Dessin et découpages de Bad).
Guillaume de Pouilles (ou d’Apulie) est l’auteur d’un long poème sur les exploits de Robert Guiscard : ses Gesta Roberti Wiscardi racontent l’histoire de ce fils de Tancrède qui s’imposa à partir des années 1050. Auparavant il consacre quelques pages aux débuts difficiles des premiers émigrés qui se mirent au service des Lombards d’Apulie en révolte contre la domination grecque de Byzance. Les défaites succédaient parfois aux victoires et dès lors la situation de ces exilés était très difficile. Bien que normand lui-même, Guillaume d’Apulie sait par expérience que le maintien de ses compatriotes en Italie fut le fruit autant de leur déloyauté et de leur perfidie que de leur courage.
« Rentrés dans leur patrie, ils engagèrent en effet leurs proches à les suivre en Italie. Ils leur disaient la fertilité de la Pouille, la lâcheté de ses habitants. Ils leur recommandaient de n’emporter que les provisions indispensables et leur promettaient de trouver là-bas un protecteur avisé, sous les ordres duquel ils triompheraient facilement des Grecs. Beaucoup se laissèrent tenter et se résolurent à partir, les uns parce qu’ils avaient peu ou point de bien, les autres pour accroître leur fortune, tous par désir de s’enrichir. Ils se mirent en route, chacun emportant ce qu’il jugeait nécessaire pour faire le voyage selon ses forces. »
« Après être passés par Rome sans armes, les Normands fatigués par ce voyage pénible, firent halte en Campanie. La nouvelle de leur arrivée en Italie se répandit aussitôt. Dès que Mélès l’apprit, il accourut et leur donna des armes, puis il leur commanda de le suivre. »
Guillaume d'Apulie nous décrit les circonstance de la rencontre entre les Normands et Mélès vers 1017, date obtenue par recoupement des faits historiques qui ont suivi :
" Quelques-uns d'entre eux, ayant gravi la cime du Mont-Gargan, pour s'acquitter d'un vœu qu'ils t' avaient fait, ô archange Saint Michel, aperçurent un homme vêtu à la grecque, nommé Mélès."
« A la mort de Mélès, dont ils attendaient les secours, les Normands désespérés retournèrent tristement en Campanie. Mais ils n’osaient fixer nulle part leurs tentes, effrayés par leur nombre réduit et par la multitude des ennemis puissants qui les entouraient aucun lieu ne leur paraissait sûr, ni dans les montagnes, ni dans les vallées les plus isolées. Ils ne comptaient plus sur aucune aide, car tout est contraire, semble-t-il, aux vaincus alors que la fortune sourit aux vainqueurs. Vagabonds ils erraient de çà de là et changeaient sans cesse de demeure lorsque une lutte entre voisins les détermina finalement à s’établir. Ils s’attachèrent au Lombard qu’ils savaient le plus puissant et se mirent fidèlement à sa solde afin de s’assurer, en le servant, une protection contre les autres et d’acquérir de la réputation par les succès qu’ils remporteraient dans les combats… Sous sa protection ils coururent dévaster les environs et harceler ses ennemis. Mais comme l’âme humaine est encline à la cupidité et que rien ne résiste à l’argent, ils délaissaient tour à tour tel ou tel prince, pour s’attacher toujours à celui qui leur donnerait davantage et servaient plus volontiers celui qui les payer le mieux. Ils préféraient les combats aux traités de paix, changeaient de maîtres selon leurs forces et selon les circonstances, vendaient leurs services au plus offrant. »
Guillaume d’Apulie, La geste de Robert Guiscard, I, vers 104-122 et 137-147
Tapisserie du château de Pirou, détail montrant Rainolf Drengot comte d'Aversa.
Cette tapisserie est visible au château de Pirou, dans le département de la Manche.
LES "HAUTEVILLE"
Geoffroi Malaterra s’est attaché plus particulièrement à la personne du comte Roger, le jeune frère de Robert Guiscard, qui mena à bien la conquête de la Sicile sur les Arabes. C’est lui qui nous parle, dans ses De rebus Gestis Rogerii Calabriae et Siciliae comitis, de l’origine des Tancrède en Normandie dans un village appelé Hauteville. Il ajoute quelques lignes sur le père de ces cinq fils qui tous devinrent de puissants comtes en Italie du Sud.
« Il y avait un chevalier, de naissance tout à fait illustre, du nom de Tancrède, qui possédait un domaine que lui avaient légué ses ancêtres par droit d’héritage. Il épousa une femme exceptionnelle autant par ses mœurs que par sa naissance, du nom de Murielle, qui lui donna par descendance légitime cinq fils, qui devinrent ensuite des comtes : Guillaume, surnommé Bras de Fer, Dreu, Onfroi, Geoffroi et Serlon. »
« Après la mort de leur mère, Tancrède, dont l’âge encore vert empêchait de respecter la continence et qui, en honnête homme, refusait les relations déshonorantes, épousa une femme en secondes noces : il préférait se contenter d’une unique femme légitime plutôt que de se souiller dans l’étreinte honteuse avec des concubines, se souvenant de ce propos de l’apôtre : « que chaque homme prenne femme pour échapper à la fornication » et de cet autre propos aussi « Dieu jugera les fornicateurs et les adultères ». Il prit pour femme Fressende, nullement inférieure à sa première femme par les mœurs et la naissance : elle donna en toute légitimité à son mari sept fils qui n’avaient pas moins de valeur et de dignité que leurs demi-frères dont nous signalons les noms : le premier est Robert dit Guiscard depuis sa naissance, qui, par la suite, devint prince de toute l’Apulie et duc de Calabre, un homme de grand conseil, ingénieux, généreux et audacieux ; le second est Mauger, le troisième Guillaume, le quatrième Alfred, le cinquième Hubert, le sixième Tancrède, le septième Roger, le plus jeune, qui allait devenir le conquérant et le comte de Sicile. Mais leur mère, qui élevait ses fils avec l’affection très attentive d’une mère, entourait de tant d’amour les fils qui n’étaient pas les siens et qui étaient ceux que son mari avait eus de sa première femme, qu’on ne pouvait distinguer, à moins de l’avoir appris de quelque façon, lequel était ou n’était pas son fils. Elle n’en était que plus aimée de son mari et plus estimée de son entourage. Les enfants, qui suivant le cours de leur âge, avaient traversé les années de l’enfance et atteint, l’un après l’autre, l’adolescence, commencèrent à s’intéresser à l’art de la guerre et s’appliquer assidûment à la pratique de l’équitation et des armes, apprenant à se défendre et à combattre l’ennemi… »
c'est la reconstitution de la maison de la motte de Mirville (XIème siècle) sur l'éphémère archéo site Viking de Bolleville, qui a servi de modèle pour la maison castrale du seigneur de Hauteville.
Photos Eriamel
La motte castral de Remilly sur Lozon, size à 5 kilomètres de Hauteviile la Guichard dans la Manche. C'est peut-être ici, ou dans uns construction similaire que vivait la famille de Tancrède de Hauteville.
La seigneurie des Hauteville dans l'album
"Italia Normannorum"
« Il n’est pas hors sujet de rappeler un fait mémorable à propos de Tancrède, le père de tant de fils. Durant sa jeunesse, Tancrède s’adonnait aux exercices de cavalerie, faisait le tour des cours princières de diverses régions et obtenait, par ses exploits, en plus de la gloire des biens considérables. Comme il se trouvait auprès du comte des Normands, Richard II, le quatrième duc à partir du duc Rollon, un jour ce duc, au cours d’une partie de chasse, leva un sanglier d’une taille incroyable et même,dit-on, exceptionnelle : Richard aimait beaucoup cette pratique, habituelle chez les gens riches. C’était alors la coutume commune à tous ces notables que personne d’autre ne devait oser tuer le gibier que celui qui l’avait levé. Or, comme les chiens pistaient le sanglier plus rapidement que le comte, ralenti par l’opacité et la densité des bois épineux, l’animal, qui craignait d’être mis en pièce par les chiens agressifs qui l’attaquaient par derrière, se réfugie dans une grotte et s’en sert pour protéger ses arrières en faisant demi-tour pour se défendre des chiens avec sa tête aux dents redoutables. Le sanglier faisait alors, de ses dents écumantes, un grand massacre des chiens privés de l’aide des chasseurs, quand survient par hasard Tancrède qui se hâte, dès qu’il voit le massacre des molosses, de leur porter secours, bien qu’il n’ignore pas la coutume princière. Le sanglier se détourne des chiens, dès qu’il l’aperçoit, et se rue sur lui en portant une attaque furieuse. Mais Tancrède, doté de forces considérables le reçut avec témérité à la pointe de son épée : il ne le frappa pas, mais lui enfonça la pointe aiguë de sa lame dans son front très dur jusqu’aux entrailles, de sorte que de sa très longue épée seule la garde demeurait à l’extérieur du corps de l’animal. Abandonnant son épée dans le front du sanglier, Tancrède s’éloigna, de crainte que le comte ne découvre son geste. Celui-ci fut étonné de trouver le sanglier mort et demanda à ses compagnons de l’examiner pour savoir s’il portait quelque blessure. En voyant l’épée enfoncée jusqu’à la garde dans le front de la bête, il admire la puissance du coup ; Il cherche à savoir à qui appartenait l’épée et promet son pardon pour éviter que l’auteur de l’exploit ne se cache. Quand il eut appris que le responsable était Tancrède, le prince ainsi que tous les autres chasseurs présents le félicitent et le couvrent de louanges. Si auparavant on l’estimait, désormais on le tenait en grande considération. Dès lors il servit à la cour du prince avec dix chevaliers sous ses ordres. »
Geoffroi Malaterra, De rebus gestis Rogerii Calabriae et Siciliae comitis, I, 4 et 40
LA PERIODE 1038 - 1046
Geoffroi Malaterra nous présente donc dans le détail la lignée des Hauteville. Ceux-ci mettent pied en Italie quelques années après notre héros. 1038 semble la date la plus probable, peu avant que n’éclate ouvertement le conflit larvé qui couvait entre Lombards et Byzantins et quelques mois seulement avant la tentative de ces mêmes Byzantins pour reprendre la Sicile aux Arabes. Cette dernière opération se solde par un échec cuisant pour l’ Empire Romain d’Orient. La belle unité de façade entre les Lombards, leurs mercenaires Normands et les Byzantins vole en éclats.
(voir album Italia Normannorum : L’histoire de l’étalon d’Arduin n’est pas une invention des auteurs de la BD, mais bien uns anecdote qui en dit long sur les tensions existantes au sein de la concentration byzantine.
Après les vexations, Lombards et Normands profitent des soubresauts politiques affaiblissant Constantinople et ne laissent pas passer l’occasion d’affirmer leur indépendance.
Le 4 Mai 1041, le catépan Michel Doukeianos est battu lors de la bataille de Montemaggione. Il s’enfuit à Bari selon l’anonyme Barese et Lupus Protospatarius. Il apprend là qu’il est disgracié alors qu’il tente de rassembler de nouvelles troupes et est remplacé par Bojoannès.
Au lendemain du combat, Lombards et Normands se choisissent un nouveau chef : Aténolf, le frère du prince de Bénévent. La principauté de Bénévent espère tirer profit des victoires remportées au nord de l’Apulie (Aimé,2,23 ; Léon d’Ostie ; Guillaume d’Apulie,1,318). Bojoannès revient en force avec l’intention de cerner les Normands et les Lombards dans Melfi où il les sait rassemblés. Mais ceux-ci, sans doute informés des mouvements de troupes des Byzantins, sortent de la place forte et se disposent sur le Mont Siricolo, près de Montepeloso, c'est-à-dire au plus près de Bari. Au lieu de reculer, ils ont avancé sur leur adversaire qui ne les attend pas vraiment à cet endroit. La bataille a lieu le 3 Septembre 1041 entre, selon les chroniqueurs, 10000 grecs et 700 mercenaires normands accompagnés de Lombards. Ces chiffres sont sans doute exagérés. Nous ne connaissons pas le nombre exact de Lombards, mais les mercenaires normands forment (garder le temps de narration) l’encadrement de même que les princes lombards. Ceux-ci ont sans aucun doute possible plusieurs centaines d’hommes à leur disposition. Au premier choc les grecs s’enfuient et le catépan est fait prisonnier par les Normands. Ceux-ci le livrent à Aténolf qui le fait défiler à pied devant son cheval dans la ville de Bari (Aimé 2, 27 ; Léon Marsirius ; Guillaume d’Apulie, 1, 419). Mais Aténolf commet l’erreur de garder pour lui la formidable rançon payée par Byzance pour la libération de Bojoannès. Cette attitude provoque la rupture entre les Normands et le prince lombard, d’autant que Guaimar IV de Salerne s’inquiéte des prétentions excessives de la principauté de Bénévent. Les Normands choisissent alors parmi les Lombards un nouveau chef : Argyros, fils de Mélès, ce fameux citoyen de Bari qui avait autrefois engagé Rainolf Drengot et qui était le héros de la révolte lombarde de 1017-1018.
La mort de l’empereur Michel IV (1041) ouvre à Constantinople une dure querelle dynastique. L’impératrice Zoé apporte d’abord son soutien à Michel V le Calaphate, qui envoie en Italie le catépan Synodianos. Mais Michel V est vite renversé par celle qui l’avait aidé à accéder au trône et Zoé reprend le pouvoir. Elle nomme aussitôt Georges Maniakès à la place de Synodianos.
Lombards et Normands vont assiéger le nouveau catépan dans Tarente, mais se contentent de piller tous les environs. Pour dissuader la population locale d’apporter de l’aide aux révoltés, Manakiès fait preuve de cruauté et tente de regagner les villes perdues. Selon les Annales de Bari, il fait mettre à mort 200 hommes à Matera. Selon Guillaume d’Apulie, il ordonne d’enterrer vivants des enfants (I, 459). Argyros et les Normands profitent du mécontentement des villes de Pouilles pour venir assiéger Trani. Ils font construire, fin Juillet 1042, une énorme tour en bois pour contraindre la cité à capituler. Trani est sur le point de se rendre se rendre quand Manakiès est démis de ses fonctions.
Car en Grèce, la situation a considérablement évolué. Romain Skléros, un général byzantin qui détestait Manakiès, le déconsidère aux yeux du nouvel empereur, Constantin Monomaque (par l’intermédiaire de sa sœur, maîtresse de Constantin). L’empereur envoie en Septembre 1042 un nouveau Catépan, Pardos, accompagné du protosparios Tubacchi et de l’archevêque de Bari. Ceux-ci entreprennent de séduire Argyros pour le rallier au parti des Byzantins fidèles au nouvel empereur. Argyros se laisse convaincre et met le feu à la tour en bois du siège de Trani. Il se réfugie alors à Bari, devenant de facto l’adversaire des Normands.
Dans le même temps, Manakiès réussit à s’emparer de Pardos et de Tubacchi. Il les condamne à mort et les exécute, se fait proclamer empereur par ses troupes et regagne la Grèce. Il périt lors d’une bataille à Ostrovo en Bulgarie. Sa tête va orner quelques temps les murs de Constantinople.
Désemparés par les trahisons successives des Lombards Aténolf et Argyros (on ne connaît pas les raisons de la disparition d’Arduin à leurs cotés), les Normands se donnent l’un des leurs pour chef en septembre 1042 : Guillaume, le fils aîné de Tancrède de Hauteville, surnommé Bras de Fer. Ils ont la bénédiction de Guaimar IV de Salerne. Les mercenaires deviennent désormais leurs propres maîtres et sont officiellement reconnus comme des acteurs majeurs de la scène locale. A Melfi ils se partagent les terres conquises.
Détail de la Tapisserie de Pirou, montrant le Partage de Melfi.
« Le prince de Salerne et le comte d’Aversa donnèrent satisfaction à la demande des Normands fidèles. Et les Normands se rendirent à Melfi avec leur comte, Guillaume. Là, ils [Rainolf Drengot et Guaimar de Salerne] furent reçus comme des princes. Les Normands leur obéissaient en les servants. Les premiers d’entre eux servaient la viande ou faisaient office de bouteiller et ils avaient le désir de remplir pleinement ce service domestique. Ils plaçaient devant lui des dons et les priaient avec grand respect de les prendre. Le prince et le comte refusaient et donnaient aux Normands de leurs propres trésors. Avant d’en venir au partage, n’ayant pas oublié l’aide de Rainolf, ils envisagèrent de lui rendre hommage avec leurs conquêtes. Ils le prièrent d’accepter la ville de Siponte avec le Monte Gargano. Ce mont lui revenait de droit avec les places fortes des environs. Le comte accepta ce que les fidèles Normands lui offrirent de plein gré. Quant au reste des terres conquises ou encore à conquérir, ils les partagèrent entre tous, de plein gré avec paix et entente. Ainsi Guillaume reçut Ascoli, Drogon reçut Venosa, Arnolin reçut Lavello, Hugues Tubœuf reçut Monopoli, Raoul reçut Cannes, Gautier reçut Civitate, Pierre reçut Trani, Raoul fiz Bebena reçut Sant Arcangelo, Tristan reçut Montepeleso, Hervé reçut Frigento, Asclétin reçut Acerenza, Rainfroi reçut Minervo. Quant à Melfi, la principale ville, elle demeura commune à tous. »
Aimé du Mont Cassin, Ystoire de li Normant, II, 29-31
Les morts de Rainolf et de Guillaume Bras de Fer peu après n’enrayent pas l’ascension des Normands. A Guillaume succède son frère Dreux quelques semaines plus tard. C’est vers 1047 enfin, date à laquelle s’achève ce premier opus de la saga des Normands en Italie, qu’arrive sous le chaud soleil méditerranéen l’un des autres cadets de Hauteville appelé à une exceptionnelle destinée : Robert Guiscard. Il n’est cependant guère accueilli à bras ouverts par ses frères déjà sur place :
« Dans le même temps arriva de Normandie un chevalier appelé Robert, qui sera ensuite surnommé Guiscard. Il se rendit auprès de ses frères pour qu’ils lui donnent une terre où il puisse vivre. Mais il n’eut de ses frères ni aide ou conseil. »
Aimé du Mont Cassin, Ystoire de li Normant, II, 46
Robert entame alors sous ces latitudes une vie d’errance, ponctuée de rapines, d’escarmouches et de franches batailles. Comme ses prédécesseurs, il loue ses bras vigoureux pour survivre. Mais ceci est une autre histoire…
Tous les faits cités ci-dessus sont traités dans l'album Italia Normannorum...
On retrouve cependant les Normands d'Italie, plus tard (en 1097 -1098) dans deux autres albums : Tancrède et Bohémond de Tarente lors de la croisades des Barons (première croisade) dans les deux premiers tomes des "Fils de Guillaume".
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